Avec le post du 5 octobre 2023, j’avais écrit :
Depuis l’automne 2019 et mon email avec publication internet sur l’affaire “Bernstein Fellow” [3], j’ai commencé à lire et me renseigner sur les réseaux de type espionnage (voir les références [1,2,4]). Je n’y connaissais rien, en dehors des films grand public que j’ai pu regarder. Maintenant, je commence à me faire mon idée.
Alors, voici une brève présentation de ma petite compréhension de ce système, à ce jour, et bien partielle.
Quelques faits et analyses.
Dans l’entretien qu’Alain Chouet a donné au site Thinkerview [1], il a dit que quand un agent se rend dans un pays, de manière générale les personnes dudit pays savent que cette personne est un agent. C’est-à-dire, son statut est connu. Du moins par les personnes en charge de ce que, je pense, on peut nommer le contre-espionnage. Même si ce n’est pas officiel. Ils sont connus.
Dans l’entretien que Jérôme Clech a donné au site Thinkerview [2], il dit qu’il y a des personnes qui ne sont pas des agents de renseignements, c.-à-d., pour ce que j’y comprends, ils n’ont pas un contrat avec l’état. Par contre, ils sont considérés comme des “honorables correspondants”. Ici arrive un problème. Ce que je trouve vraiment étrange. Si ces personnes ne sont pas officiellement des agents de la France, ils restent quand même des agents de renseignement pour l’état dans lequel ils se rendent. Pour la simple raison qu’ils vont faire… du renseignement ! Et en plus, ils reçoivent une compensation en retour (voir l’entretien). C’est dire à quel point le pays dans lequel ces gens se rendent ne peut les considérer que comme des espions. Et ainsi chercher très activement pour les débusquer et les expulser (dans le meilleur des cas pour ces personnes).
Il y a plusieurs mois, j’étais tombé sur une vidéo dans laquelle, à un moment donné, Emmanuel Todd parlait des agents de renseignement. Je pense que c’était le débat entre lui et Jacques Sapir sur le sujet de la guerre Russie-Ukraine [3]. Le souvenir que j’en ai (n’ayant pas de VPN, je ne peux plus la revoir ; car l’accès au site depuis la Chine est bloqué) c’est qu’il critiquait le mauvais renseignement français sur la situation Russie-Ukraine au moment du début de la guerre ; parce qu’il a manqué, d’après lui, des données et analyses concrètes. Ce qui m’avait étonné dans ce qu’il disait, c’était que le travail principal des agents de renseignement était d’éviter des situations conflictuelles entre pays dû au manque d’informations factuelles sur l’un et l’autre. Et il avait pris l’exemple des films James Bond où, en fin de compte, l’agent se démenait pour empêcher les agissements d’organisations secrètes internationales ou de tierce pays, qui tentaient de créer des situations conflictuelles au niveau national ou international. Il avait utilisé un terme qui avait fait rire les personnes de l’assistance, et moi aussi. Il avait dit quelque chose du genre : “en fin de compte, ces agents de renseignement, James Bond inclus, ce sont des gauchistes internationalistes…”. Ce qui, effectivement, n’est pas vraiment l’idée que l’on se fait de ce type de personnage.
Sur les Bretons. Je dois dire que j’ai eu du mal à me décider d’écrire ce paragraphe. Pour la simple raison que cela pourra être perçu comme si, moi, je pointais intentionnellement les Bretons. J’espère et je souhaite que tout lecteur s’étant retrouvé, par un hasard hasardeux, sur ce billet de blog comprendra pourquoi j’écris ce paragraphe. J’ai acheté le livre de Notin [4] l’été 2019, pendant notre séjour en France pour rendre visite à la famille et les amis. Je suis tombé dessus par hasard en faisant mes achats de livres pour le retour en Chine, une habitude que j’avais prise suite à une très très mauvaise expérience avec des achats sur Amazon-France qui ne sont pas arrivés à l’adresse de mon employeur (pourtant une grande université en R.P. Chine) [5a]. En plus, au printemps-été 2019, je commençais seulement de comprendre la situation dans laquelle m’avait mise mes anciens employeurs de Goettingen [5b], et donc, mes forts soupçons qu’un réseau secret, ou même plusieurs, avait construit une fausse histoire sur mon dos et qu’il la propageait à d’autres réseaux, ces derniers étant bien niais ou naïfs, malgré mes avertissements envers mes employeurs, collègues, et plein d’autres personnes. Dans le livre, l’auteur Jean-Christophe Notin présente des entretiens avec des agents des services secrets de la France. Une des questions qu’il pose à un de ses interlocuteurs, qui a été responsable d’un département de la DGSE, et la réponse révèlent donc qu’au moins une partie des services de renseignements extérieur a eu tendance à recruter plus de Bretons que de personnes provenant d’autres régions françaises. Mon souvenir est que, quand j’ai lu cette partie et révélation, je ne me suis pas bien senti. Pour la simple raison que, dans ma ville de résidence, je connaissais et côtoyais régulièrement un Français d’origine bretonne, en allant à son magasin de chocolaterie-pâtisserie-boulangerie. À l’époque de cette lecture, le printemps 2020, en plein délire Covidien généralisé un peu partout sur la planète, ce passage du livre m’a frappé, car je ne savais pas grand-chose sur le système de renseignement. Et, en plus, j’étais en pleine bisbille avec mon employeur public du pays, qui se comportait vraiment très loin de ce que l’on pourrait appeler des standards corrects de comportement vis-à-vis un de ses employés. Pourquoi un journaliste et un membre (ancien ou pas) du renseignement avouent publiquement, dans un ouvrage sur le renseignement, donc qui sera avidement lu et décortiqué par les agences des autres pays, que, statistiquement, il y a eu plus de Bretons dans un département de l’agence ? Ma première réaction a été la stupeur et dans une certaine mesure l’effroi. Je l’ai surmonté, avec le temps, mes lectures et analyses. De plus, j’ai rencontré plein d’autres Bretons, soit en personne, soit sur le réseau social Wechat (et bien sûr, des Français issus de plein d’autres régions). Mais le point important est que ce livre pointe les Bretons, du moins dans l’imaginaire des gens lambda n’ayant pas une bonne connaissance du milieu du renseignement, comme de probables “agents de la France”. Ce qui, je trouve, n’est vraiment pas une chose positive pour tous. Car entre les Bretons étant estampillés “agents” et ceux qui les rencontrent, aussi bien Français qu’autres nationalités, Chinois inclus, les “traqueurs d’agents étrangers” [6] ont plein de choix pour se mousser et se faire voir comme de bons et responsables citoyens de son pays.
Et là, je dois rappeler une particularité en RPC. Sur l’état d’esprit général mis en place par le gouvernement sur ses citoyens par rapport aux étrangers. J’en avais entendu parler avant de venir y vivre, vaguement (d’ailleurs, j’y réside toujours, au moment où j’écris ces lignes). Je le savais de manière assez partielle, n’ayant pas l’expérience de vie prolongée sur place, ni m’étant vraiment intéressé au sujet. Je pensais ou croyais, naïvement, que ça ne me concernait pas. Ce que la Chine a mis en place officiellement, c’est la délation rémunérée, ce que j’ai re-découvert de manière écrite dans un article d’information (voir [6]). Ce que j’avais trouvé très incongru est qu’un Chinois, que je côtoyais de temps en temps à Hefei, m’avait prévenu oralement de manière directe, quand nous y vivions encore, de cet état de fait (voir [7]). Ce que, sur le coup, j’avais pris comme juste une information générale, pas vraiment comme un avertissement. D’ailleurs, il y a eu d’autres événements, ou plutôt communications, que, maintenant, j’interprète clairement comme des avertissements. Mais pour comprendre que ces communications sont des avertissements, celui ou celle qui le reçoit doit déjà connaître le système, ou du moins s’être informé de “comment ça marche”. Ce qui n’était pas mon cas. Pour le dire autrement, le gouvernement de la RPC a créé un système paranoïaque dans son pays vis-à-vis de tout ce qui est “l’étranger”. Une société de contrôle par tous sur tout ce qui est étranger (voir aussi [8]). Je laisse le lecteur comprendre par lui-même les conséquences de ce type d’incitation publique, et se faire son opinion.
Pour résumer les différentes informations présentées jusqu’ici : 1. un ancien responsable de la DGSE qui dit que les agents de différents pays se connaissent, en fin de compte ; 2. l’existence de “non-agents”, nommés “honorables correspondants” par le système français, mais qui ne peuvent être considérés que comme des agents étrangers par les pays dans lesquels ces personnes vont ; 3. que ces différents “agents” sont en fait des facilitateurs entre pays respectifs (cf. E. Todd), en apportant des informations factuelles sur le pays qui ne pourraient pas être trouvé de l’extérieur ; 4. que les Bretons ont été directement pointés comme plus nombreux (dans le passé) à être recruté dans au moins un service ; 5. le système social paranoïaque mis en place par le gouvernement de la RPC dans son pays vis-à-vis des étrangers (déjà présent avant la Covid-19, mais période qui, il me semble, l’a amplifié, et qui plus est, a permis la mise en place d’un système analogue dans beaucoup de pays Européen).
De ces différents points combinés aux multiples étrangetés auxquelles j’ai été confronté, j’en ai déduit que, en pratique, les vrais agents sont connus, factuellement, par les différents services de sécurités chinois. Étant donné la porosité des informations “administratives” par le truchement des jeux de partis politiques chinois et différentes factions, j’en conclus que ces informations sont utilisées par différentes factions pour des intérêts qui ne sont pas directement liés à l’état, mais à des groupes. Ceux-ci profitent de ces informations pour obtenir des avantages divers, politiques, économiques ou autres (dans mon cas, scientifiques), pour leurs factions et/ou à titre individuel. Ces informations sont utilisées pour mettre en porte-à-faux différentes personnes, même chinoise, vis-à-vis des “agents” officieux connus ou d’autres étrangers labellisés comme tel. Et ainsi être sûr de l’obtention d’un gain, assuré par la divulgation ultérieure de la présence d’un “agent secret étranger” et de son “réseau” dans le pays.
Je pense que de ce point de vue, il est facile à tout lecteur de comprendre la facilité avec laquelle il est possible de manipuler le système chinois. Il suffit de l’intoxiquer avec un faux “voleur d’informations scientifiques”, ou un faux “agent secret qui vient foutre la merde”, ou avec un faux “agent d’une société secrète”, etc. Le plus étrange dans mon histoire, c’est que cette intoxication a due avoir une très forte composante interne à la R.P. Chine. Donc, aussi, volontairement créée de l’intérieur.
Parce que, avant de venir travailler en Chine, j’ai dû remplir et fournir un dossier de candidature, avec des lettres de recommandations. Je les avais prévenus, à ce moment-là. Ma femme aussi, elle qui est chinoise, elle les avait prévenus, même oralement, au téléphone, devant moi (à l’époque, je comprenais déjà suffisamment la langue pour comprendre des choses simples). Qu’il y avait eu des dissensions fortes à Goettingen. Pendant le séminaire d’invitation pour parler du projet de recherche, du poste et du travail [9], il y a eu des avertissements.
Alors, maintenant, ce n’est vraiment pas positif. Et je comprends que c’est normal. Car ceux qui ont réellement créé cette situation, ils n’ont aucun intérêt à ce que ça se résout de manière correcte pour tous. Parce que, pour eux, les choses sont allées vraiment très loin dans l’abjecte. Alors, pour eux, il vaut mieux que la majorité soit écrasée, humiliée.
Car, une fois que des personnes sont tombées dans le piège tendu par un ennemi, un vrai ennemi, de ceux qui utilisent tout moyen pour arriver “à une fin voulue”, les personnes, ou groupes de personnes, piégés deviennent des agents effectifs des ennemis, contrôlés par l’ennemi. Par la compromission. Et l’ennemi n’a vraiment pas de limite. C’est là où, maintenant, je comprends pourquoi des gens parlent de “reset”. Parce que, après la réinitialisation, c’est le vainqueur qui réécrit le passé.
Comme l’a soi-disant écrit Howard Zinn : “Tant que les lapins n’auront pas d’historiens, l’histoire sera racontée par les chasseurs.” Mais je préfère la version africaine : “Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur.” (merci à Théophraste R. [10])
J’en reste là.
[1] https://www.thinkerview.com/alain-chouet35-ans-de-dgse-une-pointe-de-diamant/
[2] https://www.thinkerview.com/jerome-clech-stratege-de-guerre-sabotages-cupidite-et-agressions/
[3] https://www.archivesroyalistes.org/Les-enjeux-de-la-guerre-russo-ukrainienne
[4] Jean-Christophe Notin, Les Guerriers de l’ombre, 2017.
[5a] Pour l’anecdote : sur les six livres du même auteur, Paul Jorion, que j’avais acheté, Amazon-France les a envoyé en deux colis de trois livres et un seul colis est arrivé. Du coup, j’ai demandé à d’autres personnes (un Chinois et un Français), qui me disaient rentrer de France, s’ils pouvaient me rapporter chacun un livre (le troisième, je l’ai moi-même racheté beaucoup plus tard en France). Après tout ce qui s’est passé et les bizarreries qui me sont arrivées, c’est à se demander si d’étranges personnes, qui avaient ces infos, ont tagué ces deux personnes comme des agents potentiels auprès des autorités ! Avec moi, bien sûr. Juste pour deux livres dans un colis que la poste chinoise a soi-disant perdu… (ce que je ne crois pas). Bien pratique.
[5b] Voir l’histoire “Bernstein Fellow” au lien : https://tzvet.github.io/blog/2020/06/03/pre-3rd-june-2020-posts_fr, et le document pdf explicatif
[6] https://edition.cnn.com/2022/06/08/china/china-foreign-spies-national-security-cash-reward-hotline-intl-hnk/index.html
[7] Post Wechat du 2024-03-31-20h53 au lien https://tzvet.github.io/blog/2024/04/11/PostsWechatGroupeEUResearchers
[8] https://edition.cnn.com/2024/04/21/china/china-spy-agency-public-profile-intl-hnk/index.html
[9] Dans le système scientifique, “l’entretien d’embauche” se fait normalement à travers une invitation de séminaire scientifique, où le candidat présente ses travaux publiés et la thématique globale sur laquelle il a travaillé, ainsi que la thématique qu’il souhaite développé dans ses recherches futures. Après, il y a aussi un entretien, qui est en fait plus classique, comme dans le système privé.
[10] https://www.legrandsoir.info/tant-que-les-lapins-n-auront-pas-d-historiens-leur-histoire-sera-racontee-par-les-chasseurs.html